Aujourd’hui 1er décembre, ce jour est le grand jour, le premier jour de la conquête de l’espace maritime. Le départ vers un horizon infini dont la première escale sera les Galapagos, lieu rendu mythique de part la richesse de son environnement aujourd’hui scrupuleusement surveillé et protégé. Nous constatons que la date de notre départ est plutôt pratique car par la suite il nous suffira de connaître la date du jour pour connaître instantanément et sans plus de calculs le nombre de jours écoulés. Nous sortons de la baie de Caraques mais le départ est difficile, nous devons slalomer entre des bancs de sable en avançant à la vitesse d’un bulot (l’équivalent d’un escargot des mers) car nous faisons face à des vagues puissantes qui déferlent parfois sur les bancs de sables situés juste à côté de nous. Nous n’utilisons pas d’autre moyen de propulsion que le moteur afin de maintenir une route précise et parcourrons l’équivalent de 5 kilomètres en deux heures (soit la moitié de la distance qu’aurait parcourue une mémé à pieds dans le même temps). Nous sortons soulagés et mettons à présent les voiles mais quelques temps plus tard une autre difficulté se présente. Pourquoi une barque de pêche nous suit elle depuis maintenant plus d’une demi-heure ? Telle fut la question de Valérie appréhendant fortement cette situation. Il faut dire que des conversations avec les locaux et Gene pointaient du doigt le risque de piraterie dans le secteur.
– Mais non, tu n’as pas à t’inquiéter ma chérie, s’ils avaient voulus nous attaquer ce serait fait depuis longtemps. S’ils mettent les gazs, ils nous rattraperons en moins de deux minutes.
Rétorquais-je
Après 3/4 d’heure de poursuite inexplicable je décide néanmoins de jouer la prudence.
– Ecoute, je pense qu’il n’y a aucun danger mais sait on jamais je préfère être trop prudent … Il va faire nuit dans 5 minutes. Lorsque nous serons dans le noir, nous éteindrons toutes les lumières du bateau et virerons de bord. Cette barque ne sera alors plus en mesure de nous suivre.  
Valérie soulagée, nous exécutons ce virement de bord mais soudainement nous nous trouvons de nouveau face à nous une lumière qui se rapproche. Sans doute une autre barque, elle nous oblige à réaliser un nouveau virement de bord. Peu après nous trouvons encore à quelques milles devant notre étrave deux autres lumières, une légèrement sur bâbord et l’autre sur tribord. Celle sur bâbord utilise une lumière stromboscopique verte très puissante, le genre de lumière utilisée au dessus d’une discothèque dans le ciel pour la localiser. Nous sommes complètement aveuglés et personnellement de plus en plus énervé. Entre ces nombreux virements de bord, Il m’arrivera même de jurer …. Enfin, un dernier virement de bord afin de nous repositionner sur la bonne route et nous voilà sorti de ce champs de  mines, direction les Galapagos. La sérénité reprend sa place et psychologiquement parlant, il est plus confortable de se dire que nous faisons escale dans cinq jours aux Galapagos plutôt que dans un mois aux Marquises.

03 décembre
Deux jours après notre départ, nous avons parcouru 275 milles soit approximativement 500 kms. Il en reste tout autant pour arriver aux Galapagos et sommes donc à mi parcours pour arriver aux Galapagos. Dans le même temps, nous nous disons que cette distance déjà réalisée ne représente en fait que 1/10 de la véritable route qui nous mènera en Polynésie. Depuis notre départ les conditions météorologiques sont favorables,  nous avons toujours eu du vent et n’avons jamais eu à mettre le moteur, dans ce sens nous continuons donc de solliciter les faveurs d’Eole. Et pour la première fois depuis notre départ nous avons aussi un magnifique ciel bleu sans un seul nuage. A ce moment là, naviguer devient un vrai plaisir, un moment magique dont on profite au maximum ne pensant pas que cela puisse durer …  En extase devant de petits oiseux qui nous suivent , nous assistons soudain à un drôle de spectacle. Un oiseau sorti de nulle part vient attaquer ces petits oiseux pourtant si paisibles ! Ces petits oiseux ne payent pas de mine devant l’envergure impressionnante de ce grand prédateur et des sifflements stridents se font bientôt entendre. C’est l’attaque d’un Boeing 747 sur un ULM à laquelle nous assistons, la puissance contre l’agilité, sauf qu’en réalité de telles prouesses aériennes ne sauraient être reproduites par aucun avion. Ce spectacle durera 10 minutes, il y eu peut être quelques blessés mais fort heureusement aucun décès.
À la fin de la journée, nous avons droit à un magnifique coucher de soleil qui laissera place à une plein lune admirable. La lune flotte sur l’horizon et ses reflets orangers illuminent toute la mer, elle  semble si proche qu’il est facile de discerner chacun de ses cratères.  Cette nuit semble dans la lignée de la journée que nous venons de passer, en somme magnifique.

04 décembre
Nous avons parcouru 136 milles en 24 heures soit approximativement 250 km. L’équivalent d’un Montpellier-Lyon effectué en deux heures de voiture ou en une heure de TGV. La notion d’espace temps en mer sur un bateau est radicalement différente que sur terre. Plusieurs jours passés en mer vous fait vraiment entrer dans une nouvelle dimension où la distorsion espace temps enlève toute valeur à ces mots. Qu’est ce que l’espace lorsque l’on se trouve sur un horizon infini ? Que devient le temps lorsque l’écoulement de celui ci n’est plus mesuré ? Dans l’immensité du Pacifique on ne compte plus les heures et nous glissons doucement dans un état léthargique propice à la méditation. Plus rien n’a d’importance que le champ d’écume qui berce le bateau et le bruissement du vent dans les voiles.
Trois oiseaux fatigués se reposent et jacassent sur le bastingage du bateau m’extirpant de ma stupeur. Ces oiseux libres comme l’air me font réfléchir à ce que réellement la liberté. Cette liberté si évidente chez ces oiseaux, que devient-elle une fois transposée à l’Homme ? Je suis certain que la liberté est une source de bonheur mais elle en effraie plus d’un. Nous avons été conditionnés dans notre société pour croire à la liberté sans jamais y accéder. Nous avons la possibilité d’organiser les trois semaines de vacances que l’on nous a octroyé dans l’année mais peut on réellement partir pour de bon, réaliser ses rêves et ses projets sans limite de temps ou d’argent ? Je parle d’argent car celui ci semble aussi être la clef pour parvenir à la liberté. Trop pauvres nous devenons esclaves de chaînes d’argent, Trop riches nous devenons les maîtres de la servitude de l’argent. Trop pauvres, il sera impossible de s’acheter ne serait ce qu’un ticket de bus pour s’évader. Trop riches, on a beaucoup trop à perdre et c’est le début de l’angoisse. Economiser, rentabiliser, fructifier, capitaliser deviennent  les maîtres mots, l’unité du temps devient argent et il semble alors impossible de s’évader. L’idéal semble donc être entre les deux, riche mais pas trops. En tout cas, à mon sens l’unique richesse qui vaille vraiment le coup réside dans ce que l’on a au fond de son âme et non pas au fond de son porte monnaie. Dans l’au-delà, l’âme perdurera quand le papier brulera. Durant nos voyages, j’ai pu constater que les plus heureux sont systématiquement des gens libres qui indépendamment de l’argent qu’ils possèdent savent se satisfaire du necessaire. Il y a chez eux comme un esprit de contentement et de simplicité. Un jour que nous prenions le taxi, je proposai à un ami millionnaire de partager le taxi avec nous ce qui lui éviterait d’avoir à prendre le bus et gagner ainsi beaucoup de temps. Il refusa et m’expliqua alors pourquoi afin de pouvoir en tirer une leçon. Pour lui la vraie vie ne résidait pas dans la facilité, elle devait être gagnée au jour le jour et prendre le bus était pour lui un moyen de se réaliser, de rester spectateur des événements qui se déroulaient sous ses yeux, de savourer le temps présent et de découvrir en présence des habitants la ville au format panoramique. La dernière chose dont il aurait eu envie à ce moment là fut un moyen rapide de se déplacer et je pense qu’il aurait probablement banni la téléportation si elle avait existée.  
Les personnes libres savent s’adapter quelque soit leur environnement pour se concentrer sur le moment présent, je les compare souvent aux caméléons du bonheur. En tant que capitaine, je dois systématiquement m’adapter aux conditions, plus ou moins pénibles, afin de suivre le cap que j’ai choisi et me demande alors si liberté n’est pas simplement le cap que l’on suit dans l’accomplissement de ses choix …      

5 décembre
Depuis ce matin nous évoluons dans une mer agitée, le bateau file à sept nœuds sous grande voile réduite et trinquette. Les vagues sont assez grosses d’une hauteur atteignant parfois 4 m et le cockpit a déjà été submergé plusieurs fois. Valérie dort tranquillement sans imaginer ce qui l’attend dehors, tant mieux, j’espère qu’elle va encore dormir  longtemps. Dans tous les cas si elle éveille le soupçon d’une situation inconfortable, je ferai mine de ne rien savoir car à quoi bon lui avouer que sa peur est légitime ? Mais la situation n’est pas si inconfortable car le bateau à ma grande surprise négocie parfaitement toutes les vagues et passe tout en souplesse, évitant la plupart des vagues et s’inclinant devant les plus grosses. Si cela n’avait pas été le cas, j’aurais changé d’allure, cela signifie donc qu’il s’agit davantage d’une forte houle que de vagues réellement méchante, appelées communément déferlantes et qui peuvent pour les plus grosses engloutir un bateau comme le notre en une fois. Plus que 24 heures pour atteindre les îles Galapagos, nous avons vraiment hâte de nous mettre à l’abri.
6 décembre
La politique aux Galapagos consiste à repousser le plaisancier qui, s’il souhaite tout de même y accéder devra s’acquitter d’un droit d’entrée faramineux de 1500 euros avec la permission de rester un maximum de 3 semaines toujours en restant toujours dans la même baie ce qui implique de payer des services supplémentaires pour se déplacer dans l’île. On est très loin des circum navigateurs qui lorsqu’ils traversaient le pacifique se rendaient systématiquement sur ces îles qui étaient alors encore vierges. Le nombre de plaisanciers présents dans ces îles a drastiquement chuté mais cela semble être la conséquence volontaire d’une politique incompréhensible pour certains mais quelque peu logique pour ceux qui ne pensent qu’à la conservation de ces îlots paradisiaques. Cette politique est appliquée de manière rigoureuse, attention à ceux qui essaieraient de tricher ou de contourner les lois présentes. C’est pourtant bien ce que nous avons l’intention de faire car nous sommes face à un cruel dilemme : il est inconcevable pour nous de payer 1500 euros et tout aussi inconcevable de passer à côté de cette étape incontournable. Nous allons tricher sur un principe très simple : nous pensons avoir le droit (encore aujourd’hui mais pour combien de temps) de naviguer partout dans le monde à la vitesse que nous souhaitons et ce n’est tout de même pas de notre faute si les Galapagos se trouvent sur notre route. Nous ne pourrons pas toucher pied terre mais pourrons aller d’île en île afin de découvrir par la mer pendant deux jours les îles Galapagos.
Nous fûmes récompensés outre mesure de notre témérité, les moments passés à naviguer entre ces îlots nous laisse une marque indélébile. Nous arrivons sur la première île dans une atmosphère apaisante, sous un ciel bleu et un climat des plus agréables. Nous longeons la côte et apercevons de grands ailerons noirs sortir de l’eau, probablement de grands requins. Nous étions à l’avant du bateau pour mieux les observer lorsque nous aperçûmes une immense tache sombre passer sous le bateau. Nous avons clairement  distingué et identifier cette raie Manta d’une envergure de 7 mètres. Nous en restons bouche baie pendant plusieurs minutes, nous n’avions encore jamais rien vu d’aussi grand. Nous continuons à avancer et à découvrir les paysages grandioses des Galapagos, difficiles à décrire en quelques mots. D’aspect lunaire, la terre d’aspect rougeâtre contraste avec le bleu de la mer qui se marie si bien avec celui du ciel. Certains endroits de l’île me font penser aux plus beaux reflets que peut revêtir la Corse lorsque les jeux de lumière exercés par le soleil ont décidé de la sublimer. Mais on ressent encore ici davantage l’esprit sauvage de ce lieu mythique, l’intensité de la nature nous rappelle que nous sommes bien sur l’un des joyaux du pacifique perdu dans l’océan le plus grand de ce monde.   
7 décembre
Nous arrivons au mouillage de Santa Cruz à minuit après s’être battu contre un vent et une mer de face nous obligeant à tirer de nombreux bords de pré. Malgré la fatigue nous quitterons ce mouillage à 6 heures du matin car nous ne devons pas éveiller les soupçons des agents présents dans le coin. Mais lors de notre départ, un bateau à moteur nous suit. Cela inaugure t-il des complications ? Non, il s’écartera au bout de quelques minutes, nous pouvons respirer et profiter de notre clandestinité. Nous naviguons vers l’îlôt Tortugua, un petit bout de cailloux de rien du tout qui a poussé dans l’océan comme un champignon pousse dans une forêt. En théorie, toutes les îles et îlots du pacifique sont issues d’activité volcanique mais en côtoyant ces abrupts terres, on aurait plutôt l’impression d’origines mythiques. D’ailleurs les sismologues, volcanologues et autres scientifiques n’ont pas encore réussi à expliquer la provenance de toutes les îles du pacifique malgré leurs nombreuses recherches. En approchant de Tortugua, de nombreux oiseux de toute beauté balaient le ciel entre terre et mer. Etant donné leur abondance et leur diversité, il n’y aucun doute sur le fait que cet endroit soit un véritable paradis pour tout ornitologue qui se respecte. Et pour tous les plongeurs aussi tant les eaux semblent poissonneuses. Un gros thon jaune réalise quelques bonds prodigieux devant l’étrave du bateau mais celui ci a l’air effrayé comme pourchassé par un plus gros prédateur. Nous avons croisé le regard de ce poisson et celui ci était annonciateur d’une importante activité sous l’eau.
Nous passons l’îlôt Tortugua et ne tardons pas à rejoindre l’île Isabella. C’est en longeant cette île que nous avons eu notre plus beau cadeau, la récompense de ce que nous venions chercher aux Galapagos : les phoques. Ils sont joueurs, se déplacent souvent en famille et sortent leur petit museau de l’eau pour nous dire bonjour. Ils sont adorables, je pensais jusqu’à aujourd’hui que le seul et unique ami du marin était le dauphin, je me suis trompé car le phoque semble doté de la même intelligence et d’une grande sympathie. Certains phoques effectuent des cercles autour de nous tout en s’adonnant à toutes les nages possibles. pour notre plus grand bonheur, nous passerons notre après midi à naviguer avec eux ce qui constituera en soi une expérience inoubliable. Nous terminerons cette journée avec un magnifique coucher de soleil sur les Galapagos, une raie s’adonnera à un grand salto hors de l’eau pendant que les oiseaux eux resteront indifférents à tout ceci, se reposant sur l’eau et se confondant avec les derniers phoques de l’horizon. Quelques milles plus au large, nous nous laisserons dériver dans un calme olympien pour profiter d’une dernière nuit révélatrice de songes magiques aux Galapagos.           

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